***
Traduction Gérard Merdjanian – commentaires
Que ce soit des civils, des militaires, des politiques ou des diplomates turcs, la réponse est toujours la même : Régler d'abord le problème du Karabakh avant toute normalisation des relations arméno-turques. Et si le sujet concerne le génocide arménien, seuls quelques intellectuels et universitaires, voire quelques journalistes, se dressent contre la doctrine officielle. En cas d'écart, le code pénal est là pour signifier les limites de la liberté d'expression et la manière d'aborder les sujets tabous en Turquie.
Comme cela ne coûte pas cher et que de surcroit cela permet de bien se faire voir pas la communauté internationale, on ne voit pas pourquoi la Turquie abandonnerait cette démarche dite de ‘normalisation', il y a quelques années ça portait le nom de ‘réconciliation', et dans quelques années on trouvera une autre appellation comme ‘rapprochement' ou ‘entente amicale'.
L'important pour Ankara, c'est de préserver ses intérêts nationaux, et les Arméniens, qu'ils soient nationaux ou diasporiques, ne font pas partie de ce schéma. Si l'empire ottoman les a tolérés pendant des siècles, ce n'est pas une raison pour que la Turquie moderne fasse de même. Sinon à quoi cela aurait-il servi d'en massacrer un million et demi, de s'accaparer de leurs biens et de leurs terres, et d'être le premier Etat génocidaire du 20ème siècle ?
Comme le dit si bien Erdogan, on ne refait pas l'histoire.
***
Dans une interview accordée à RFE/RL à Erevan, Sadi Erguvenc, ex-général turc à la retraite, a reconnu que les chances d'une ratification des protocoles turco-arménienne sont très minces pour le moment. "La situation ne semble pas être très prometteuse," a-t-il indiqué.
Les dirigeants turcs ont affirmé à maintes reprises que le parlement turc ne ratifiera les protocoles que si une percée significative a lieu dans les pourparlers de paix arméno-azerbaïdjanais. Un membre éminent du Parti de la Justice et du Développement (AKP) a réaffirmé cette position lors d'une récente visite à Erevan.
"Il ne faut pas regarder rationnellement du point de vue arménien, mais la Turquie tient grandement à ses relations avec l'Azerbaïdjan. Cette position ne peut pas se changer facilement sans avoir une solution durable au problème du Karabakh.
On ne peut pas priver les Azéris de l'appui qu'ils méritent, à notre avis. Leur pays est occupé dans une large mesure. Un nombre assez important de personnes souffrent de cette situation. Alors, bien sûr, nous nous sommes engagés à les soutenir," a déclaré Erguvenc.
Interrogé pour savoir si Ankara pourrait cesser prochainement de lier les deux processus, rejeté par Erevan, Erguvenc a répondu : "Je ne crois pas. Cette politique bénéficie d'un fort soutien public en Turquie."
Le général en retraite de l'armée de l'Air s'adressait à RFE/RL, en marge du séminaire turco-arménien d'Erevan organisé par la Fondation Partenariat Eurasie (EPF), en collaboration avec le Centre des Tendances Politiques Globales (GPoT), un groupe de réflexion basé à Istanbul, et financé par l'USAID. (Voir brève de jeudi)
Erguvenc, qui siège actuellement au conseil consultatif du GPoT, a dirigé le Service de Renseignement du puissant Conseil de Sécurité national turc ainsi que le Département Planification de l'Etat-major militaire turc avant de prendre sa retraite en 1992. Il a été également membre de l'ancienne Commission de Réconciliation Arméno-Turc (CRAT), un panel de diplomates retraités et de personnalités civiles créé en 2001 à l'initiative du Département d'Etat américain. La CRAT a maintes fois appelé à l'établissement inconditionnel de relations diplomatiques entre les deux pays et à l'ouverture de la frontière avant d'être dissoute en 2004.
Le général a insisté sur le fait que le processus de normalisation turco-arménien n'a pas échoué, et qu'à terme, ce sera un succès si les deux parties restent dans une posture ‘tournée vers l'avenir'. "Aussi, le gouvernement turc est très intéressé à rester sur une voie positive. Il a une politique déclarée de ‘zéro problème' avec ses voisins et il veut s'y tenir. Une ouverture dans le conflit du Karabakh permettrait d'améliorer considérablement la situation," a-t-il ajouté.
Yalim Eralp, un ambassadeur turc à la retraite qui assiste également au séminaire, a lui aussi insisté sur l'importance de la paix au Karabakh pour le rapprochement turco-arménien. "Quand vous avez un nouvel ami, vous ne pouvez pas abandonner l'ancien," a-t-il souligné.
"La Turquie met ses relations avec l'Azerbaïdjan au-dessus des relations turco-arméniennes", s'est plaint au cours de la discussion David Hovannisian, un ambassadeur arménien retraité et également ex-membre de la CRAT.
Il a fait remarquer que la population tant en Arménie qu'en Turquie est ‘beaucoup plus engagée pour la normalisation' que les deux gouvernements.
Eralp semblait d'accord, ajoutant que les deux sociétés civiles doivent continuer à "faire pression" sur leurs gouvernements. "Mais nous devons utiliser cette pression intelligemment", a-t-il précisé.
Armenialiberty