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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
On comprend lorsqu'on voit la teneur des sujets que les organisateurs n'ont pas voulu s'exprimer devant un large public. Les échanges ont eu lieu à huis clos et c'était plus sûr. Certains intervenants auraient certainement été lynchés et la quasi-totalité trainé en justice, car en contradiction avec l'article 301 du code pénal turc.
Quoiqu'il en soit il est bon que les dirigeants turcs sachent ce que pensent un petit nombre de leurs concitoyens intellectuels et de chercheurs. Il faut espérer que ces quelques dizaines de personnes ne subissent pas les conséquences de leurs prises de position.
Comme dans toute organisation, il y a l'exception qui confirme la règle. Qu'un Arménien soit assimilé c'est déjà triste en soi, mais qu'un Arménien soit inféodé aux autorités turques c'est lamentable. Comment dans ces conditions peut-on prétendre défendre les descendants des rescapés du génocide ?
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Le 24 avril, ont eu lieu en différents endroits d'Istanbul des événements liés à la commémoration du génocide, de même une conférence sur deux jours sur le génocide arménien, s'est tenue à l'Hôtel Princess d'Ankara.
La conférence, organisée par ‘Initiative Liberté de Penser d'Ankara', s'est déroulée avec des mesures de sécurité strictes. La salle a été passée au peigne fin sur deux matinées par des policiers et par des chiens policiers, des détecteurs de métal ont été installés à l'entrée de l'hôtel, et le public devaient devait avoir l'aval des organisateurs pour entrer. Cependant, contrairement aux manifestations d'Istanbul, aucune contre-manifestation n'a été autorisée.
La conférence a attiré environ 200 participants, principalement des militants et des intellectuels qui soutiennent la reconnaissance du génocide. Parmi les participants turcs on pouvait voir : Ismail Besikci, Baskin Oran, Sevan Nichanian, Ragip Zarakolu, Temel Demirer et Sait Cetinoglu.
Besikci a été le premier en Turquie à écrire des livres sur les Kurdes "à un moment où les autres n'osaient même pas utiliser le mot ‘K'," comme un chercheur turc doit le faire. Besikci a a été emprisonné pendant des années pour ses écrits. Oran est un professeur de sciences politiques. Il a été l'un des initiateurs de la campagne lancée pour présenter des excuses de la part des intellectuels turcs. Nichanian est un érudit turc d'origine arménienne, auteur de plusieurs ouvrages mais également journaliste à Agos. Zarakolu est un éditeur qui a été à la pointe de la lutte pour la reconnaissance du génocide arménien en Turquie avec plusieurs livres publiés sur le sujet au fil des ans. Demirer est un auteur qui a été poursuivi pour ses écrits et discours audacieux. Cetinoglu est un érudit et un militant, il est l'un des principaux organisateurs de la conférence.
L'affiche de la conférence
Les universitaires étrangers et les militants qui ont pris la parole étaient : David Gaunt (Chercheur sur les génocides, auteur de ‘Massacres, Résistance, Protection : Les Relations entre Musulmans et Chrétiens en Anatolie orientale Pendant la Première Guerre Mondiale), Henry Theriault (professeur de philosophie, à l'Université d'Etat Worcester), Khatchig Mouradian (doctorant sur l'Holocauste et les génocides à l'Université Clark, et rédacteur en chef d' Armenian Weekly), Harry Parsekian (Président des Amis de Hrant Dink de Boston), et Eilian Williams (écrivain et militant du Pays de Galles). Tous à l'exception de Gaunt ont parlé sur le thème : "La question arménienne : Qu'est-ce qu'il faut faire et comment ?". La réunion était organisée en tables rondes, avec rapporteurs et modérateurs.
Réparations : Injuste ou Indispensable ?
La table ronde qui s'est avérée être la plus controversée, avait en vedette Nichanian, Zarakolu, et Demirer, lesquels ont débattu sur les réparations du génocide arménien avec tous les membres du groupe, le tout lancé par Oran et d'autres personnes de l'auditoire.
Mouradian a parlé de l'importance de recadrer le discours sur la Turquie et de traiter de la question du génocide arménien, non seulement du point de vue de la démocratie et la liberté d'expression, mais aussi de celui de la justice. Il a également abordé les concepts d'excuses et de dédommagement.
Theriault, à son tour, a déclaré : "La Turquie doit restituer ou compenser tous les biens expropriés. Il convient de rendre les terres et les autres richesses, y compris les biens de l'Église arménienne, lorsque s'ils ont été préservés." Il a indiqué que la Turquie devrait également compenser : 1- tous les biens détruits et les richesses qui ne sont plus accessibles ; 2- les intérêts calculés sur les pertes des biens en question ; 3- du travail d'esclave ; 4- de la douleur et de la souffrance de ceux qui sont morts et de tous ceux qui ont survécu ; 5- la disparition de 1,5 million de personnes ainsi que les famille spécifiques et les membres de la communauté ; 6- la perte des institutions culturelles, religieuses et éducatives, et autres opportunités.
Nichanian a catégoriquement rejeté les propositions de Thériault pour les réparations, les considérant comme une impasse, et notant qu'une telle approche est injuste et inacceptable, et ouvrirait la porte à de nouveaux conflits. Demirer, dans une brillante intervention, a fourni une réponse cinglante à Nichanian, affirmant avec force la nécessité des réparations. Williams, lui aussi, a parlé en faveur des réparations.
Des biens arméniens et le contexte historique
La table ronde sur les propriétés arméniennes ‘abandonnées' a également suscité beaucoup d'intérêt. Il a mis en valeur des universitaires et des écrivains tels Asli Comu, Nevzat Onaran, Mehmet Palatel (dont la thèse portait sur la confiscation des biens arméniens), et Cemil Ertem.
La table ronde sur ‘L'idéologique officielle de la négation et le passage du Comité Union et Progrès au kémalisme" avait comme personnalités les chercheurs Osman Ozarslan, Tuma Celik, Cetinoglu et Besikci.
La table ronde sur ‘Le génocide arménien dans une perspective historique' faisait appel à Adil Bon, Nahir Sayin, et Oran. Gaunt qui devait prendre la parole sur ce sujet, n'a pas pu y assister.
Les représentants des organisations soutenant la conférence ont parlé dans la dernière session.
Importance de la conférence
C'était la première fois qu'une conférence sur le génocide arménien sans la présence de négationnistes a eu lieu à Ankara. En outre, la conférence n'a pas simplement abordé l'aspect historique de 1915. Pour la première fois en Turquie, une partie substantielle des débats a été consacrée à des sujets tels que les biens arméniens confisqués, les réparations et les défis pour l'avenir et affronter le passé de la Turquie.
Khatchig Mouradian – Armenian Weekly
Légende photo : Les cinq débatteurs étaient (de gauche à droite) : Nichanian, Thériault, Shouglin, Mouradian, et Demirer.