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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
Des experts et des politiciens arméniens analysent l'impact de la visite du président russe en Turquie sur les deux processus arméno-turc et arméno-azerbaidjanais.
Le scénario catastrophe selon lequel la Russie et la Turquie se mettraient d'accord sur le dos de l'Arménie, est à écarter. Trop de choses les séparent historiquement, alors que économiquement et notamment sur le plan énergétique, le rapprochement est désiré.
N'oublions pas tous les traités et accords qui existent entre l'Arménie et la Russie, alors qu'entre l'Arménie et la Turquie il n'y en a qu'un seul, et encore multilatéral : l'Organisation de Coopération Economique de la Mer Noire (BSEC). Les traités signés par la République arménienne de 1918-1920 ne sont reconnus par la Turquie, et ceux signés par les bolcheviks moscovites dans les années 1920 au nom des Arméniens, ne sont pas reconnus par l'actuelle République d'Arménie.
Qu'on le veuille ou non, la Turquie ne fait pas partie du Caucase, que ce soit du Nord ou du Sud ; elle ne fait pas non plus partie de l'Europe (‘ça se saurait'), ni d'ailleurs du Proche-Orient et encore moins du Moyen-Orient.
C'est un pays à part, elle fait partie d'elle-même, c'est-à-dire de l'Asie mineure.
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* Aram Sarkissian *
Le leader du Parti démocratique, Aram Sarkissian, est satisfait par la position de l'Arménie dans le processus arméno-turc. Il espère que l'Arménie se comportera de la même façon en ce qui concerne le conflit du Karabakh et ne validera pas les principes de Madrid, qui ne bénéficient pas à Arménie.
"Toutefois, avant cela nous devons convaincre tout le monde par une propagande ciblée que la seule chose que l'Azerbaïdjan veut, c'est la guerre. Après, nous pourrons déclarer que nous refusons les Principes de Madrid et le transfert de la question dans le domaine juridique. La diversification des relations extérieures de l'Arménie est l'occasion d'adopter des positions tranchées concernant le Karabakh," a-t-il souligné.
Quant au rapprochement turco-arménien, M. Sarkissian a déclaré que les relations seront normalisées non par la signature des protocoles, mais par un échange de notes diplomatiques.
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* Ruben Safrastian *
Dans quelle mesure la visite du président russe à Moscou est-elle dangereuse pour l'Arménie et que peut-elle entraîner ? L'historien et turcologue, Ruben Safrastian, a indiquait qu'il comprenait les préoccupations des autorités arméniennes, car l'histoire a montré quelles conséquences la coopération politique russo-turque peut avoir pour l'Arménie. Toutefois, l'historien ne voit pas de tendances d'évolution négative.
"La visite en Turquie de Dimitri Medvedev n'avait pas pour seul but de discuter de la question du Karabakh, et qui de surcroit ne copréside pas le Groupe de Minsk de l'OSCE, mais de déclarer que la Russie et la Turquie devaient jouer un rôle actif dans l'établissement de la paix dans la région. Toutefois, il s'agit d'un geste de bonne volonté plutôt que d'une déclaration politique," a souligné Safrastian lors d'une conférence de presse.
"Les coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE ont déclaré à plusieurs reprises qu'ils ne souhaitent pas voir la Turquie comme quatrième coprésident. Deuxièmement, je pense que la participation de la Turquie dans le processus ne va pas dans les intérêts de la Russie, car elle est sa principale concurrente dans la région. Aussi, je pense que nous pouvons être tranquilles à ce sujet."
Le turcologue indique que l'anxiété de l'Arménie sur les relations russo-turques, est justifiée. Il a pour cela des bases historiques. "Nous avons eu une expérience négative en 1920-21, lorsque les deux régimes politiques - bolcheviks et kémalistes - arrivés au pouvoir respectivement en Russie et en Turquie, ont trouvé un accord et ont divisé l'Arménie. La coopération actuelle entre la Russie et la Turquie a des raisons économiques et non politiques. La Turquie est membre de l'OTAN, la Turquie est la principale alliée des Etats-Unis au Moyen-Orient. Par conséquent, je ne crois pas que la coopération entre les deux pays puisse se transformer en une alliance géopolitique."
Il a rappelé que la Russie a des intérêts économiques en Arménie. En outre, la Russie et l'Arménie sont les seuls pays de la région représentés dans le même système de sécurité – l'Organisation du Traité de Sécurité Collective.
En ce qui concerne le processus de réconciliation arméno-turc, l'historien a indiqué qu'il s'agissait d'un "jeu", ajoutant que la Turquie est toujours intéressée par le processus. Selon Ruben Safrastian, le fait que l'Arménie ait lancé le processus de réconciliation arméno-turc avec la ‘diplomatie du football' et a été la première à se retirer du processus, met en évidence qu'elle poursuit une politique étrangère indépendante, sans aucune pression extérieure.
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* Garabed Rubinian et Artak Zakarian *
"Les protocoles arméno-turcs ont donné l'occasion à la Turquie de pénétrer dans le processus de règlement du Karabakh", a déclaré le représentant du Congrès National Arménien, Garabed Rubinian, lors d'une conférence de presse. De son côté, Artak Zakarian, du Parti Républicain d'Arménie, a déclaré que "les intérêts de l'Arménie n'ont pas été compromis dans le processus de réconciliation arméno-turc. Malgré tous les efforts, la Turquie ne réussit pas à dialoguer avec l'Arménie avec son langage de conditions préalables."
En ce qui concerne le rapprochement russo-turc, Rubinian lie cette démarche à l'initiative de l'Arménie de normaliser les relations avec la Turquie. "Le flirt arméno-turc ne peut pas être considéré séparément du rapprochement russo-turc. Aujourd'hui, nous voyons que la Russie est assez souple dans ces relations," précise-t-il.
Artak Zakarian estime toutefois, que les liens russo-turcs ont toujours existé indépendamment des relations arméno-turques. "Je pense que les relations russo-turques ont une importance principalement économique. La Turquie sait que la construction de sa politique étrangère sur un seul vecteur, était dangereuse parce qu'il lui est difficile de se débarrasser de l'influence occidentale. Maintenant, elle essaie de contrebalancer cette influence par un rapprochement avec l'Orient, à savoir la Russie."
Et d'ajouter que : "les intérêts des grandes puissances entrent en collision sur la question du Karabakh, aussi, l'Arménie devrait essayer d'en tirer un maximum d'avantages."
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* Chouchane Khatlamadjian *
"Le processus arméno-turque est une occasion pour les grandes puissances d'influencer l'évolution régionale, et ces relations ne peuvent pas se développer plus lentement que ce qu'elles ont prévues," a déclaré la politologue Chouchane Khatlamadjian lors d'une conférence de presse, suite à la visite du président Medvedev en Turquie.
Dans quelle mesure le rapprochement russo-turc impactera-t-il les intérêts de l'Arménie ? - "Lors de l'établissement de relations avec la Turquie, la Russie essayera de ne pas créer de difficultés supplémentaires dans la région sur le plan géopolitique. Partant de là, je pense que la Russie poursuivra une politique, créant des formats et construisant des relations qui ne déboucheront pas sur une tension et ne présenteront pas un danger pour l'Arménie."
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* Gagik Haroutiounian *
"Je ne surestimerais pas l'importance de la visite du président Medvedev en Turquie. La visite visait principalement à améliorer les relations commerciales et économiques entre les deux pays," a déclaré le président de la Fondation ‘Noravank', Gagik Haroutiounian, lors d'une conférence de presse.
Selon Haroutiounian, la partie arménienne a toujours été sensible aux relations russo-turques. "Nous ne devons pas oublier, cependant, que ces relations ont été établies au 18e siècle. La Russie a déclaré depuis une douzaine de guerres contre la Turquie. Enfin, la Russie est le pays qui a toujours défendu les intérêts de l'Arménie."
En ce qui concerne la participation éventuelle de la Turquie dans le processus de règlement du conflit du Karabakh en tant que pays coprésident du Groupe de Minsk, Gagik Haroutiounian a indiqué qu'elle ne rentrait pas dans l'intérêt des grandes puissances. "Je pense que ce n'est rien de plus qu'un souhait, les grandes puissances - la Russie, des États-Unis et la France - ne tiennent pas à voir la Turquie en tant que coprésident du Groupe de Minsk."
S'exprimant sur le processus de normalisation des relations arméno-turques, le politologue a déclaré : "le processus n'est pas arrêté, mais sa première étape est terminée. La deuxième étape commencera tôt ou tard. Certaines des mesures sont prises dans ce sens."
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Radio Publique d'Arménie