Israël et Ukraine, nouveaux soucis pour la Turquie ?

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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires

Quoique l'on dise, Israël et la Turquie sont et restent les alliés fidèles des Etats-Unis dans la région. Du jour où Washington changera sa politique dans la région, il est fort probable que le comportement de ces deux pays changera également. Mais lorsqu'on voit les dernières prises de position de l'équipe Obama concernant le génocide arménien, il n'y a pas grand-chose à attendre dans l'immédiat.

Il est tout aussi clair que ce qui retient la Turquie sur le chemin de la reconnaissance, ce n'est pas tant que le régime précédent ait commis un génocide il y a 95 ans, mais que l'actuel Etat turc devra réparer les crimes du gouvernement Jeunes Turcs. Et ça, c'est inadmissible pour ne pas dire rédhibitoire.

Quant à l'Ukraine, n'ayant de facteurs bloquants comme les deux autres, la probabilité quoi que non nulle reste faible.

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Peu importe avec quelle ardeur la Turquie espère qu'après le 24 avril il sera possible d'oublier le génocide arménien jusqu'à l'année prochaine ; cela ne se produira jamais. Cette fois, les fauteurs de troubles ont été Israël et l'Ukraine. Ce qui est ennuyeux, c'est que ces deux pays semblaient être des alliés et des partenaires de la Turquie et l'Azerbaïdjan.

En ce qui concerne la Knesset, la probabilité de discuter d'une résolution sur le génocide arménien est quasi nulle. Ce n'est pas tant le désir de jouer un mauvais tour à la Turquie, mais pour les Juifs, il existe seulement un génocide : l'Holocauste. Tous les autres génocides sont tout simplement ‘des événements tragiques'. Il y a plusieurs raisons à cette forme d'ostracisme, mais le plus important reste qu'Israël est réticent à donner le ‘fardeau de gens malheureux' à qui que ce soit, car il donne certaines avantages sous forme de réparations. Réparations qui peuvent être sont assez importantes – ainsi l'Allemagne a payé aux survivants de l'Holocauste environ 1 milliard d'euros. Selon certains experts arméniens, la Turquie devrait à l'Arménie 41 milliards de dollars. Ainsi, en dehors de l'aspect moral il y a aussi le côté purement financier qui, dans la crise actuelle est de plus en plus présent. La réalité est que la Knesset ne reconnaîtra pas le génocide arménien, c'est incontestable. Le sujet n'ira plus loin que la création d'une commission compétente, et mais même si c'est le cas, la question sera évacuée. Aussi, les Turcs et les Azéris peuvent dormir tranquille. Toutefois, le dicton ‘On ne sait jamais' reste applicable à la politique. La conscience peut soudainement surgir chez les députés israéliens et ils peuvent décider de façon inattendue que les autres peuples ont été traités de manière moins brutale que les Juifs. Toutefois, la reconnaissance par Israël n'est pas pour demain. Si la communauté arménienne était plus grosse et plus forte en Israël, l'espoir serait permis. Mais une autre question se pose : Peut-on espérer une reconnaissance du génocide arménien par les Juifs, alors que le parlement arménien n'a pas reconnu l'Holocauste ? D'une certaine manière, il semble que si nous l'avions fait, Jérusalem aurait pu se comporter différemment. Aussi, il faudra faire avec.

Les choses sont différentes avec l'Ukraine, d'autant plus que Kiev a un nouveau président qui va mener une politique diamétralement opposée à celle de son prédécesseur Iouchtchenko. La dépossession de Stepan Bandera [ndlt : nationaliste ukrainien] de son titre de ‘Héros d'Ukraine', la prolongation du contrat de location pour la flotte russe de la mer Noire, la nouvelle entente sur les prix du gaz, montrent que Viktor Ianoukovitch est déterminé à poursuivre une politique pro-russe, tout en ne négligeant pas les intérêts de son pays. L'Ukraine possède une grande et forte communauté arménienne qui fait de son mieux pour la reconnaissance du génocide arménien. Avec ce changement de politique, les chances d'aboutir pour les Arméniens sont beaucoup plus importantes. Et si Kiev décide également de quitter la GUAM [ndlt : organisation internationale de coopération regroupant quatre États de l'ex-URSS : Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldavie] (ce qui semble tout à fait réaliste), alors il ne tardera pas à lâcher ses gentils partenaires fiables, Mikhaïl Saakachvili et Ilham Aliev.


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Quant à la partie turque, elle continuera à asséner que la question du génocide arménien est l'affaire des historiens et non celle des parlements. Mais la position d'Ankara est incompréhensible : si une décision a force de loi, vous pouvez aller en justice avec elle. Et c'est ce que la Turquie craint le plus, en gardant à l'esprit la sentence du tribunal stambouliote de 1919, lorsque Talaat et ses acolytes ont été condamnés à mort. À cet égard, les actions ponctuelles de certains intellectuels turcs le 24 avril dernier, ne changeront hélas pas grand chose sinon attirer la sympathie du côté arménien. Le repentir de quelques centaines de personnes ne pèse pas lourd face aux 70 millions de Turcs pour lesquels l'Arménie et les Arméniens sont l'ennemi numéro un. Et jusque-là le mantra ‘le génocide est l'affaire des historiens' sera clamé par une variété de gens.

Karine Ter-Sahakian – Panarmenian, Département Analyse