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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires
Tout le monde convient que sur le plan de la communication l'action de la "Flottille de la Liberté" est une totale réussite, et a attiré l'attention de la communauté internationale sur le blocus de Gaza et le ‘loupé' tragique d'Israël. D'ailleurs le second envoi a subi le même sort (arraisonnage), mais cette fois-ci sans violence et sans morts. Quant aux sanctions du Conseil de Sécurité des Nations-Unis, elles se limiteront à l'envoi d'une commission d'enquête internationale, et encore sous réserve qu'Israël accepte, Washington ayant mis tout son poids pour éviter plus.
Certes il est très peu probable que des armes soient trouvées sur les navires saisis, Ankara et les Hamas ne feraient pas ce genre de boulette, et ce n'était pas le but recherché. Il a bien sûr une colère toute légitime, mais passé ce cap, ce qui est intéressant, ce sont les conséquences qu'en tirent les dirigeants turcs.
Quand on a sur les mains le sang d'un million et demi d'Arméniens massacrés, le premier génocide du XXème siècle, et que l'on persiste à le nier systématiquement depuis 95 ans ;
Que l'on applique un blocus depuis 17 ans à sa voisine l'Arménie ;
Que l'on occupe impunément et manu militari 37% du territoire d'un autre pays voisin, la République de Chypre ;
Alors, s'offusquer d'un blocus et s'en prendre aux ‘bandits' qui s'attaquent aux personnes innocentes, les enfants et les vieux, est d'une hypocrisie incroyable.
Ankara est mal venu, mais alors vraiment mal, de donner des leçons de morale aux autres !
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La bande de Gaza est devenue un facteur décisif dans les relations turco-israéliennes. Il se peut que la Turquie prenne finalement le parti du monde islamique et par conséquent, dans le pire des développements, ainsi délier les mains de l'Iran qui aspire depuis longtemps à détruire l'Etat juif qui porte ombrage au monde islamique (tout comme l'Arménie d'ailleurs). L'intéressant est que, malgré la grande similitude entre ces deux pays, leurs relations sont, pour le moins, loin d'être normales.
Mais essayons d'analyser la situation. Il est évident que « l'incident », ou plutôt le pari du Hamas sous couvert de la Turquie ne pouvait pas se dérouler en toute impunité, et c'est exactement là-dessus que comptaient les cerveaux de l' « action humanitaire ». Il est évident que c'était une provocation calculée. Mais cela a été mal calculé. La Turquie s'attendait à ce que ses appels en tant que membre non-permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies force l'Organisation à faire une déclaration vigoureuse qui en fait n'a pas eu lieu. Et l'OTAN a clairement indiqué à la Turquie que l'Alliance n'est pas le moins du monde concernée. Il est inutile d'essayer de trouver ici des messages sous-jacents ou des protocoles secrets, car ils n'existent pas. Pour la énième fois la Turquie a joué avec le feu dans son désir de devenir une puissance hégémonique dans la région. On peut même prédire le scénario : d'ici quelques jours Ankara lancera un appel à la communauté internationale, montrant avec de nouvelles vidéos les atrocités "israéliennes", mais çà s'arrêtera là. Les pogroms juifs en Turquie sont également dans les tuyaux. Mais le problème, c'est que pour de nombreux politiciens turcs leurs origines ne sont pas clairement identifiées et qu'aucun d'entre eux ne peut se rappeler avec précision la nationalité de leurs ancêtres. Néanmoins, c'est un sujet intéressant.
La Turquie estime que les attaques israéliennes contre le convoi humanitaire maritime "Flottille de la Liberté" resteront dans l'histoire comme un ‘point noir', et exigeront qu'Israël soit poursuivi. "Tuer des civils est une honte !" a déclaré le Premier ministre de Turquie Recep Tayyip Erdogan au Parlement. Voilà un propos très intéressant ! La Turquie, le successeur, non seulement en paroles mais aussi dans les actes, de l'Empire ottoman dont les mains, jusqu'aux coudes, ont été colorées avec le sang des Chrétiens, accuse Israël de se défendre. Nous ne savons pas encore très exactement quel genre de cargaison la « Flottille Liberté » transportait : Les armes peuvent aussi être considérées comme une aide humanitaire, cela dépend du point de vue dans lequel on se place. D'ailleurs, il est peu probable que le Hamas et la Turquie qui sont derrière cette action, soient aussi inquiets du sort des Palestiniens qui maintiennent une tension constante dans la région depuis 1948, mais n'ont pas encore été en mesure d'établir leur propre Etat. Construire un Etat est difficile ; lutter avec l'argent du monde islamique est évidemment plus facile et plus préférable ...
Pendant ce temps, le Vice-Premier ministre turc, Bulent Arinç, déclarait : « Que personne ne s'attende à nous voir déclarer la guerre à Israël suite à l'incident. Ankara trouvera une solution basée exclusivement sur le droit et la diplomatie » ; rapporte le quotidien Milliyet.
Mais Erdogan est resté fidèle à lui-même. Voici ce qu'il a dit à la réunion de son parti de la Justice et du Développement (AKP) : "Notre hostilité est aussi forte que notre amitié est précieuse. Personne ne doit tester notre patience. Il serait bien dommage de perdre l'amitié de la Turquie. La nation turque a toujours soutenu les Juifs, et l'histoire peut en témoigner. Ici, le peuple juif doit comprendre qui sont les vrais coupables. Le régime ensanglanté, aujourd'hui au pouvoir en Israël, doit nécessairement être puni. Même les bandits et les pirates ont une certaine sensibilité. Ils observent certaines règles éthiques et ne blessent pas les personnes innocentes, les enfants et les vieux. Mais ces gens les ont transgressées. Et ils n'ont pas honte de se justifier. Qui leur a donné le droit d'ignorer le droit international ? La communauté internationale doit exprimer sa position envers ceux qui ont commis ce crime. Ils sont bons à tuer des gens. Et ces événements une fois de plus ont été montrés au monde entier. Ce qu'ils ont fait est un réel terrorisme d'Etat. Ils nient toute implication dans ces événements. Mais pitié, arrêtez de jouer ! Nous sommes fatigués de ces mensonges. Le monde entier connait maintenant votre vrai visage. Ne confondez pas la Turquie avec les autres. Les conséquences seront graves. En attaquant des gens non armés en pleine mer, vous vous mettez hors la loi internationale."
De toute évidence, le premier ministre turc ne souffre pas d'un manque de modestie, pas plus d'une perception suffisante de la réalité. C'est exactement ce qui a détruit l'Empire ottoman et qui, certainement, détruira la Turquie d'aujourd'hui. Et inutile de se demander d'où Ilham Aliev tire son inspiration, quand il parle des Arméniens ? La seule chose qui doit être faite maintenant, est d'attendre et de voir quelles mesures prendra Bakou, se trouvant lui-même dans une situation ambiguë. D'un côté il y a ‘une nation', de l'autre, l'amitié et l'argent. Certainement sur le plan officiel, aucune déclaration ne suivra, mais dans le cadre « d'initiatives populaires » il y aura des actions telles que brûler des drapeaux et autres choses du même acabit. La mauvaise nouvelle est que l'Iran va s'impliquer dans cet incident, la bonne, est que les États-Unis n'ont pas encore cédé à la pression d'Ankara et se bornent seulement à ‘suggérer'. Qui vivra verra ! Une seule chose est sûre : la tension au Moyen-Orient ne promet rien de bon pour personne dans le monde, et surtout pas, à la Turquie. En outre, seuls comptent les plus forts. À cet égard, l'Arménie a quelque chose à apprendre de l'Etat juif.
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Karine Ter-Sahakian – PanArmenian.net – Département Analyse