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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
Rendre visite à l'Arménie pour signer un accord militaire et ne pas rendre visite à sa voisine, aurait été une faute grave, vu que la Russie copréside le groupe de Minsk de l'OSCE avec les Etats-Unis et la France. Aussi en plus du déplacement, Moscou a vendu à Bakou des batteries de missiles anti-aériens S-300, pour faire bon poids.
Le gaz azéri étant acheté en totalité par Moscou, il devient clair qu'une guerre arméno-azerbaidjanais de grande envergure devient quasiment impossible et que le président Aliev devra se contenter de lancer des attaques plus ou moins importantes sur le Karabakh. Franchir la frontière équivaudrait à mettre gravement en danger son économie basée essentiellement sur les énergies fossiles, les premiers pipe-lines se trouvant à une trentaine de km de la frontière arménienne.
A vouloir en permanence ménager la susceptibilité de l'Azerbaïdjan, en passant sous silence les dérapages verbaux et les actions commandos de Bakou, les coprésidents, médiateurs du groupe de Minsk de l'OSCE, finissent par se discréditer même aux yeux de leurs partisans. Si la méthode Coué a du bon, il ne faudrait peut-être pas en abuser.
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Les coïncidences aléatoires ne se produisent généralement pas en politique et le dernier incident dans le village de Verin Chaylu au Nord du Karabakh, en est une preuve. Pour une raison X, ces incidents se produisent, soit après la réunion d'Ilham Aliev avec le président russe soit avant. La première fois que les Azéris se sont attaqués à Chaylu ce fut lors de la réunion Sarkissian-Aliev-Medvedev à Saint-Pétersbourg, la deuxième, à la veille de la visite officielle de Dmitri Medvedev à Bakou.
Apparemment, Aliev a hâte de montrer une fois de plus ‘de quoi il est capable' et exprimer ainsi son mécontentement avec la signature du Protocole n°5 concernant l'extension de la base militaire russe en Arménie. Combien de temps cela fonctionnera-t-il, est un autre problème et Aliev lui-même connait pertinemment les risques de telles actions. Mais, comme nous l'avons déjà écrit, les élections législatives sont proches et cette fois au moins Bakou veut prouver qu'elles vont se passer plus calmement, si tant est que cela soit possible en Azerbaïdjan, dans une république de l'ex-URSS. Il est également évident qu'Aliev veut ‘prouver et montrer' quelque chose à Medvedev. Mais personne ne sait exactement quoi. S'il veut une fois de plus présenter l'Arménie comme un agresseur, il s'est manifestement trompé de ligne de front. S'il continue de parler de la patience ‘limitée' du peuple azerbaïdjanais, la communauté internationale est déjà suffisamment malade et fatiguée de cette déclaration, qu'il n'est plus pris au sérieux. Et l'on frise le ridicule, quand les politologues et les experts azéris, l'écume à la bouche, tentent de convaincre que la Russie n'interviendra pas dans le conflit, et que la base militaire russe 102 de Gumri n'est pas une menace pour l'Azerbaïdjan. Effectivement, ça ne présente aucun danger direct et fort probablement même que la Russie n'interviendra pas, parce que ce sont les forces arméniennes qui vont combattre. Cependant, des forces extérieures ne sont pas totalement à exclure, tout simplement parce que les oléoducs et les gazoducs seront fortement menacés, et que la Russie, des États-Unis et l'UE interviendront pour arrêter la guerre. C'est ce qui est arrivé en 1994, lorsque qu'on a forcé les troupes arméniennes à s'arrêter aux abords de la rivière Kur.
Mais cette fois, c'est beaucoup plus grave. En 1994, l'Azerbaïdjan n'avait pas encore les pétrodollars, Heydar Aliev n'avait pas encore imaginé qu'il léguerait un lourd héritage à son fils, ce qui est typique de tous les dictateurs, vu qu'ils se croient éternels. En mettant en œuvre le ‘Projet du siècle', à savoir l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, Heydar Aliev a effectivement mis son pays dans la dépendance des sociétés internationales d'énergie. L'ennui, c'est qu'après 14 ans d'exploitation, le débit du pipeline a quelque peu baissé et mieux, il doit transporter du pétrole kazakh ou turkmène, vu que le pétrole azerbaïdjanais n'est plus suffisant. Aliev Jr. a voulu faire la même chose avec le gaz, mais cela n'a pas fonctionné comme prévu car Gazprom a acheté la totalité du gaz azerbaïdjanais produit à la source.
Mais revenons à la visite de Dmitri Medvedev à Bakou. Il est clair que la Russie a des intérêts économiques en Azerbaïdjan, mais le but de la visite du président russe à l'Azerbaïdjan n'était pas seulement l'économie. Deux autres sujets importants ont été également discuté : Le conflit du Karabakh et la question extrêmement délicate de la mer Caspienne, que les cinq États riverains sont incapables de régler. Après l'effondrement de l'Union soviétique, chaque pays - Iran, Azerbaïdjan, Russie, Kazakhstan et Turkménistan - ont été incapables de se partager ce riche gâteau, s'accusant mutuellement d'empiéter chez le voisin.
Quoi qu'il en soit, la visite de Medvedev à Bakou est pour montrer que la Russie essaie de mener une politique équilibrée dans le Sud-Caucase, et que jusqu'à présent elle a réussi. À cet égard, il convient de noter que le week-end prochain, les coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE vont visiter la région, et comme après chaque "incident" vont appeler les parties à négocier dans la paix et la tranquillité. Tout va bien, si ce n'est que dans sa dernière déclaration le Représentant personnel du Président de l'OSCE, l'Ambassadeur Andrzej Kasprzyk, a indiqué qu'enquêter sur l'incident de Chaylu n'est pas inclus dans son mandat. Ce qui est pour le moins ‘énigmatique', pour employer un euphémisme. D'après ses dires, son mandat ne concernerait que le suivi et la participation aux réunions de l'OSCE ...
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Karine Ter-Sahakian – PanArmenian.net – Département Analyse