Le comportement de la Turquie et la mise au point de l'Arménie

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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires

La politique de la ‘porte ouverte' de l'UE envers la ‘sublime porte' et le comportement des officiels ottomans envers les Européens commencent à faire long feu.

Depuis des lustres, les diplomates turcs de Constantinople puis d'Ankara ont su jouer de l'intérêt des dirigeants européens pour les richesses du proche et du moyen Orient. Comme tout se monnaye, ils ont obtenu de la France tout le golfe d'Alexandrette qui appartenait à la Syrie pour qu'ils ne se battent pas au côté du troisième Reich, des Etats-Unis des centaines de millions en jouant le bras armé de l'OTAN face à l'URSS puis envers les pays islamiques, de l'UE des subventions substantielles faisant croire qu'ils désiraient ardemment adhérer à l'Union, de la communauté internationale sa bienveillance alors qu'elle occupe militairement 37% du territoire de Chypre.

En tant que pays musulman à 97%, la Turquie avec son gouvernement religieux (l'AKP) n'a strictement rien à faire des valeurs fondamentales qui ont cimenté l'Europe. Ceci explique peut-être pourquoi elle a mal à franchir avec un tel passif la porte grande ouverte, mais étroite, de l'UE. Et je laisse de côté sa tache indélébile d'Etat génocidaire et négationniste.

Alfred de Musset disait : « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée », pour la Turquie ce n'est plus une histoire de porte mais une histoire de gonds.

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** La Turquie poursuit sa politique **

* Vis-à-vis de l'UE


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Le Vice-Premier ministre turc, Ali Babacan, s'est plaint samedi dernier que l'Union européenne devient un "club chrétien" replié sur soi-même faisant trainer l'adhésion de son pays.

S'exprimant lors d'une table ronde au Forum économique mondial de Davos en présence du président de l'UE, Herman Van Rompuy, Ali Babacan a déclaré : "Nous avons toujours pensé de l'UE est un grand projet pacifique ... mais le processus d'élargissement est littéralement au point mort. La politique de la ‘porte ouverte' n'est plus là. Et l'une des grandes raisons pour laquelle la Turquie ne peut pas devenir membre de l'Union européenne est qu'elle est un club chrétien. C'est à notre avis, un point très très dangereux."

Ankara a entamé des négociations d'adhésion avec l'UE en 2005, mais le processus est au point mort face à l'opposition de certains Etats membres, dans l'absence de réformes suffisantes en Turquie et le refus de commercer avec l'île divisée de Chypre. Plusieurs chapitres restent gelés en raison du refus de la Turquie d'ouvrir ses ports à Chypre, pourtant membre de l'UE, du fait qu'Ankara ne reconnaît pas la division de l'île entre les communautés grecque et le turque. (Cf. article du 31 Octobre 2010).

Ajoutons à cela, que le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel, ont exprimé ouvertement leur opposition à la candidature de la Turquie.


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Rappelons également que le président turc Abdullah Gül avait déclaré au journal ‘Le Monde' il y a quelques mois, que l'adhésion de la Turquie à l'UE ne revêtait plus une grande importance pour Ankara. "Il est clair que des obstacles ont été placés sur notre chemin, mais sachez que le monde ne s'arrête pas à l'Union européenne", avait-il déclaré.

* Vis-à-vis de l'Arménie à l'APCE


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En dépit des fortes objections de la délégation arménienne, l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a décidé vendredi de réactiver à la demande de son président, le Turc Mevlut Cavusoglu, la ‘sous-commission' concernant le conflit du Haut-Karabakh.

La ‘sous-commission' Haut-Karabakh avait été créé suite à une résolution de l'APCE sur le conflit, en 2005. Ses activités ont été effectivement gelées dans les années suivantes. Cavusoglu n'a eu de cesse de relancer le groupe depuis qu'il a été élu président de l'Assemblée de Strasbourg en Janvier 2010.

Les représentants arméniens, qu'ils soient pro-gouvernementaux ou de l'opposition, craignent que la sous-commission ne soit pas impartiale dans ses travaux, compte tenu que Cavusoglu soutient fermement le point de vue azéri. Les représentants arméniens ont fait valoir que la Turquie continue à apporter son soutien total et inconditionnel à l'Azerbaïdjan et ont cité pour ce faire les déclarations pro-azéries faites par Mevlut Cavusoglu dans le passé.

Le Bureau de l'APCE a rejeté ces objections et a élu un membre de la délégation espagnole, Jordi Xuclà i Costa comme président la sous-commission. Xuclà appartient au groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l'Europe, il est membre de deux Commission : - questions juridiques et des droits de l'homme ; - suivi sur le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe.


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Les membres de la délégation parlementaire arménienne à l'APCE ont été les seuls à s'opposer à la décision. Ainsi, Naïra Zohrabian a insisté en vain précisant « qu'il était inacceptable de discuter du conflit du Karabakh dans un autre format que celui du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ».


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Un autre membre de la délégation, Zarouhi Postandjian, a déclaré : "En effet, nous nous sommes retrouvés seuls là-bas." Aussi, elle n'a pas exclu la possibilité d'un boycott arménien de la sous-commission.

Le ministère arménien des Affaires étrangères n'a fait aucune mise au point sur le sujet.

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** Edouard Nalbandian détaille les thèmes développés par Serge Sarkissian **

* Processus arméno-turc

"La Turquie a une démarche non-constructive à la fois sur le règlement du conflit du Karabakh et sur la normalisation des relations arméno-turques," a déclaré le ministre des Affaires étrangères arménien Edouard Nalbandian dans une interview au média ‘Russia Today'.


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"Vous savez que c'est le président arménien qui a lancé le processus de normalisation des relations avec la Turquie. Suite à la ‘diplomatie du football' entre les deux présidents, nous avons signé deux protocoles, et avons convenu avec la partie turque que nous faisions ce pas sans aucune condition préalable. Cependant, après la signature des protocoles, la Turquie n'a pas trouvé assez de force pour rester fidèle à l'un des principes fondamentaux du droit international, le principe ‘pacta sunt servanda', ce qui signifie : ‘les pactes doivent être respectés', donc que s'il y a un accord il doit être suivi des faits. Nous avons signé les documents en présence de pays témoins – la Suisse, la Russie, les États-Unis, la France, ainsi que les représentants de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Très rapidement la Turquie est revenue à ses conditions préalables qu'elle avait laissé entendre au début du processus.

Ces conditions préalables liaient la normalisation des relations arméno-turques au règlement du conflit du Karabakh. Les États-Unis, la France et la Russie ont déclaré à plusieurs reprises que les deux processus sont totalement distincts et que les tentatives de les lier nuisent aux deux à la fois. La partie turque a fait semblant de ne pas remarquer et/ou entendre ce que la communauté internationale déclarait. La deuxième condition est la reconnaissance du génocide arménien. Quand nous avons commencé le processus, nous avons dit que la reconnaissance du génocide arménien n'était pas une condition préalable à l'établissement de relations diplomatiques entre les deux pays. Nous avons souligné que l'Arménie ne mettrait jamais en doute la réalité du génocide, ou l'importance de sa reconnaissance internationale. Nous avons indiqué tout cela à la partie turque, aux médiateurs, et à tous les pays impliqués dans le processus de normalisation. Mais malheureusement, la Turquie n'a pas respecté ses engagements en revenant à ses conditions préalables d'avant le début du processus, adoptant ainsi une position non-constructive à la fois sur le processus de normalisation des relations arméno-turques et sur le règlement du conflit du Karabakh, puisque, comme je l'ai déjà mentionné, les tentatives de lier les deux processus ne font que les affaiblir," a souligné le ministre Nalbandian.

* Processus arméno-azéri

"Une mauvaise paix est préférable à la guerre. C'est naturel, parce que chacun sait qu'il est impossible de résoudre les problèmes par la guerre. Ceux qui croient qu'il est possible de résoudre les conflits par des actions vigoureuses ou militaires s'illusionnent, parce qu'après toute guerre il est nécessaire de revenir à la table de négociation, mais dans des conditions pires. Plus tôt nous résoudrons le conflit, mieux ce sera pour les parties. Le temps ne travaille pour personne."

Edouard Nalbandian ne partage pas l'avis que les parties ne cessent de se rapprocher depuis la signature de l'accord de cessez-le-feu en 1994. "Nous n'étions pas loin de résoudre le conflit en 2001, lorsque les négociations étaient en cours à Paris avec la médiation de la France. En tant que coprésident du Groupe de Minsk, la France jouait un rôle actif alors, et les parties étaient proches d'un accord.

Malheureusement, le Président azerbaïdjanais Haydar Aliev a refusé les ‘Principes de Paris', qui ont été ensuite mis par écrit à Key West. Il a donné comme raison que l'opinion publique azerbaïdjanaise n'était pas prête pour cela. Dans les cas de conflits, l'opinion publique doit être préparée aux événements. Et notamment, pour un règlement avec des concessions mutuelles."

Selon le ministre arménien, les organisations internationales, qui traitent du conflit du Karabakh, y compris le Groupe de Minsk de l'OSCE, ont publié un certain nombre de déclarations et de propositions au cours des trois dernières années, soutenant la position de l'Arménie.

"Il y a environ trois principes de base et six éléments principaux concernant le règlement du conflit du Haut-Karabakh. [1]
Les négociations sont actuellement menées sur la base des propositions de Madrid présentées aux parties en Novembre 2007. Six grands points ont été repris dans les propositions de Madrid et se retrouvent dans les déclarations des présidents Medvedev, Obama et Sarkozy sur le Haut-Karabakh à L'Aquila et à Muskoka dans le cadre des sommets du G8. Que disent la communauté internationale, les médiateurs internationaux, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ? La communauté internationale par le biais des médiateurs déclarent que la question doit être réglée sur la base des trois principes et des six éléments.

La communauté internationale indique que les parties doivent mener des négociations fondées sur ces neuf points pour parvenir à un règlement. Ces 3+6 points ont été conçus et proposés comme un tout et il est inacceptable de sélectionner certains points et ignorer les autres. L'Arménie partage pleinement la position de la communauté internationale qui considère que les principes sont conçus comme un tout intégré.

Et que dit l'Azerbaïdjan ? L'Azerbaïdjan n'accepte seulement qu'un principe sur les trois, et qu'ils sont prêts à débattre des cinq éléments après la mise en œuvre du sixième. Il y a deux mois lors du Sommet de l'OSCE à Astana, la secrétaire d'Etat américain, au nom des coprésidents du Groupe de Minsk, a déclaré une fois de plus que les principes et les éléments ont été conçus comme un tout indissociable. Et nous devons aller de l'avant vers le règlement du problème sur cette base.

Dans les points proposés par les pays coprésidents, il est mentionné que le statut final du Haut-Karabakh doit être décidé par le peuple du Haut-Karabakh à travers une libre expression de sa volonté, laquelle aura une force juridiquement contraignante. Et avant que n'arrive cette décision finale, le Haut-Karabakh aura un statut provisoire. Que signifie situation provisoire ? Cela veut dire un statut intérimaire, tant que le statut définitif n'a pas été arrêté, [ndlt : et donc ne pas revenir sous la seule juridiction azerbaidjanaise]. C'est l'un des principes de base proposé par les coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE en vue d'un règlement," a conclu le ministre Edouard Nalbandian.

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Extrait de Armenialiberty, de Radiolour et de PanArmenian.net




[1] Rappel :

- intégrité territoriale (retenu par Az) ;
- non usage de la force ou de la menace d'usage de la force ;

- égalité des droits et autodétermination des peuples.

et

- le retour des territoires entourant le Haut-Karabakh sous contrôle de l'Azerbaïdjan (retenu par Az) ;
- un statut intérimaire pour le Haut-Karabakh qui apporte des garanties pour la sécurité et l'auto-gouvernance ;
- un corridor reliant l'Arménie au Haut-Karabakh ;
- détermination de l'avenir du statut juridique définitif du Haut-Karabakh à travers une expression juridiquement contraignante de la volonté ;
- le droit de toutes les personnes déplacées et des réfugiés à retourner dans leurs anciens lieux de résidence ;
- garanties internationales de sécurité, qui comprendrait une opération de maintien de la paix.