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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires
Mercredi dernier 13 avril, lors d'un débat devant l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s'en est pris violemment et sans aucunes raisons précises à la France. Motif : Mme Muriel Marland-Militello, une élue de Nice membre de la délégation française, a posé une question sur les atteintes aux libertés, religieuses et autres,, des minorités nationales en Turquie.
Il y a comme cela quelques pays dont la France qui sont dans le collimateur du chef du gouvernement turc, également leader du parti religieux AKP. Le premier grief est que Paris est contre l'entrée de la Turquie dans l'UE. Le second est que la France a reconnu le génocide arménien et qu'une loi pénalisant sa négation est en attente au Sénat. Le troisième est lié au débat actuel entre la laïcité de l'Etat et l'exercice de la religion sur le territoire de la République.
Le plus drôle de l'histoire, si tant est que cela soit drôle, est que Mme Marland-Militello est d'origine arménienne, ses grands-parents ayant fui les massacres de 1915. Information dont ne disposait Erdogan au moment des faits. On n'ose imaginer la colère du Grand Vizir si cela avait été le cas.
Discours de Recep Tayyip Erdogan - Vidéo
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Le mercredi 13 avril le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui se trouvait à Strasbourg, a pris la parole, en tant qu'invité, devant l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE).
Dans son allocution, M. Erdogan a cité les protocoles conclus entre la Turquie et l'Arménie en 2009 en vue de la normalisation des relations diplomatiques et de la réouverture de la frontière.
Le Premier ministre a précisé qu'en Turquie vivaient près de 110.000 Arméniens, dont 40.000 étaient citoyens d'Arménie.
Selon M. Erdogan, les protocoles contiennent une clause ayant trait au conflit du Karabakh, et que la ratification des protocoles pouvaient avancer plus facilement si le gouvernement arménien surmontait sa peur de la diaspora arménienne.
Concernant le conflit du Karabakh, il a déclaré qu'il ne permettra pas qu'il y ait violation des droits de l'Azerbaïdjan au nom des intérêts de l'Arménie. Et d'ajouter :
"Dès que les coprésidents du Groupe de Minsk - les États-Unis, la France et la Russie – se mettront d'accord, nous trouverons une solution au conflit du Karabakh."
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De nouveaux obstacles se sont dressés dans le travail de la délégation arménienne à l'APCE.
Naira Zohrabian a déclaré que lors de la session de Questions-Réponses avec le Premier ministre turc, les membres de la délégation arménienne n'ont été pas autorisés à poser leurs questions, et donc interdit d'exercer leur droit.
"Moi-même et Zarouhi Postandjian étions les 3e et 4e dans la liste. Toutefois, comme il s'est avéré plus tard, que nos noms ont été déplacés au bas de la liste, et que nous n'avons jamais réussi à poser nos questions au Premier ministre."
La délégation arménienne a adressé une demande d'expliquer au secrétariat de l'APCE sur les raisons de cet incident. La réponse qui leur a été fournie, est que le Président de l'APCE, Mevlut Cavusoglu, a le droit de changer l'ordre dans la liste si c'est un invité qui prend la parole.
Selon Mme Zohrabian, un tel comportement à l'APCE est politiquement scandaleux. "En nous privant d'une chance de poser une question, M.Cavusoglu prouve une fois de plus qu'il n'agit pas en tant que Président de l'APCE, mais plutôt comme un fonctionnaire turc, chargé de promouvoir les intérêts de son pays à l'APCE."
Malgré ces obstacles artificiels, Mme Zohrabian a réussi à approcher le Premier ministre et à lui remettre un album contenant des photographies d'enfants - victimes du génocide arménien. M.Erdogan a regardé l'album et a déclaré que si la partie arménienne continuait d'insister dans ses allégations, la Turquie trouverait également quelques photos à montrer. En outre, ses gardes du corps ont bousculé sans ménagements les membres de la délégation.
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Le comportement du Premier ministre turc devant l'APCE est devenu un sujet de discussion, même dans la presse turque. La presse le décrit comme un ‘politicien impétueux'. Hier, il a répondu cyniquement aux questions concernant les droits des minorités nationales et sur la normalisation des relations arméno-turques.
Pour la turcologue, Anouche Hovannissian, le comportement d'Erdogan est lié au fait que c'est un parlementaire turc, Mevlut Chavusoglu, qui préside pour deux ans l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Quant aux prochaines élections législatives de Turquie, aucun Arménien ne figure dans les listes des trois principaux partis politiques. Cependant, il y avait bien des candidats d'origine arménienne dans les listes avant la validation définitive. Selon Mme Hovannissian, dans toutes les listes, il y a une personne spécifique pour traiter des questions arméniennes. Aussi : "Les 60.000 membres de la communauté arménienne ne pèsent pas lourd face aux 70 millions d'habitants que compte la Turquie."
Comme l'a noté la politologue, tout au long de son histoire, le parlement turc a vu seulement 23 députés non-musulmans (8 juifs, 8 Grecs et 6 Arméniens). Toute cette agitation sur ‘l'ouverture de la Turquie' est une simple action de relations publiques.
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Selon le directeur de l'Institut des Etudes Orientales, les propos du Premier ministre turc ont montré une fois de plus que c'est un politicien sans retenue. Au lieu de répondre aux questions, M. Erdogan a fustigé les personnes qui le questionnaient. Aux représentants de la délégation française à l'APCE qui lui demandaient la position de la Turquie envers les minorités nationales, M. Erdogan a déclaré que la France n'était pas le pays apte à poser de telles questions.
Le président turc et le ministre des Affaires étrangères ont essayé d'atténuer les propos déplacés de leur Premier ministre. Toutefois, les remarques de M. Erdogan prouvent que son attitude à l'égard des minorités nationales restait inchangée.
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