La Turquie vient de franchir un pas, mais vers quoi ?

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
Comme à l'époque de l'empire ottoman, l'important en politique étrangère est de faire miroiter des promesses aux Occidentaux. En jouant de la diplomatie, en promettant des changements qu'il ne réalise pas, ou en signant des accords qu'il ne respecte pas, Recep Tayyip Erdogan suit les pas, non de Menderes mais d'un autre prédécesseur, qu'on appelait le Grand Vizir. Ce n'est plus l'homme malade de l'Europe, mais la Sublime Porte qui frappe à la porte de l'Europe, vainement d'ailleurs depuis 1963. Et ce jeu durera encore longtemps, tant que les Occidentaux, Etats-Unis en tête, auront besoin de la Turquie comme tête de pont géostratégique.
Les craintes de ce côté étant maitrisées, reste la politique intérieure. Là, deux problèmes majeurs : les militaires et le problème kurde. Les militaires étaient le denier bastion de la laïcité, garants de l'héritage de Mustapha Kemal – Atatürk. En sabrant depuis des années le corps des généraux et démissionnant la tête de l'Etat-major, Erdogan est tranquille pour un certain temps. Reste le problème kurde, qu'il a du mal à régler car observé de l'étranger, vu que les attaques du PKK ne sont plus exclusivement menées sur un plan militaire, mais se font par des voies démocratiques, donc beaucoup complexe à maitriser.
Malgré le mal qu'il se donne, M. Erdogan reste le chef d'un parti religieux, le Parti Justice et Développement, très loin du kémalisme. Si effectivement le ‘Développement' a progressé dans son pays, la ‘Justice' elle, n'a pas évolué malgré les profondes modifications apportées à la constitution et au code pénal.
Avant il y avait les bons citoyens et les citoyens de seconde zone, maintenant il y a les Turcs et les non-Turcs.

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Les soldats et les politiciens turcs ne doivent pas se faire la guerre. Suite aux récentes nominations, Erdogan a non seulement résolu ce problème, mais a également renforcé sa position. Aussitôt, les bruits concernant le nom du futur chef d'Etat-major ont commencé à courir dans les médias internationaux. De surcroit, les analystes ont prédit d'intéressants développements géopolitiques.
‘Chemical Necdet' est le surnom du nouveau chef d'Etat-major des armées turques, Necdet Ozel, car il a utilisé une arme chimique en 1999, contre les combattants de l'Armée de Libération du Kurdistan (ARGK). Il est connu pour ses déclarations agressives concernant les Kurdes. Le Vice-doyen de la Faculté d'Etudes orientales de l'Université d'Etat d'Erevan, Ruben Melkonian, a déclaré que M. Erdogan comptait maintenir la politique ‘du bâton' vis à vis des Kurdes.
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Il note que l'armée turque a démissionné, en raison de sa faiblesse, mais également à cause de l'incompréhension du public et qu'elle ne peut se défendre elle-même, ni ses amis, ni l'honneur de l'uniforme militaire en général.
Pour le politologue Saro Saroyan, du Centre d'Etudes Stratégiques et Internationales, les nouvelles nominations ont renforcé Erdogan et son parti (AKP), au pouvoir en Turquie. De plus, cela permettra à la puissance militaire d'être en mesure de réaliser des projets plus ambitieux dans la région. Notamment si la communauté internationale réitère le scénario libyen en Syrie, il sera possible de solliciter une intervention militaire de la Turquie.
Le prestigieux magazine britannique "The Economist" fait un parallèle entre Erdogan et son prédécesseur, Adnan Menderes, qui avait été pendu après le putsch des militaires turcs en 1960. "Il est peu probable que M. Erdogan suive le destin de Menderes, mais il a besoin d'apprendre du précédent chef du Parti Démocrate," indique l'article.
Selon les médias occidentaux, Erdogan a pris en main le pays de façon plus autoritaire, et donnent comme exemple la situation des journalistes d'opposition, qui sont licenciés par leurs patrons, par crainte de déplaire à Erdogan.
La seule façon d'éliminer les problèmes et les préoccupations, est de tenir les promesses et accepter la nouvelle constitution, mais même là, il sera nécessaire de concilier le parti d'Erdogan "Justice et Développement" et le parti pro-kurde "Paix et Démocratie".
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Le quotidien turc "RadiKal" rappelle que la 10ème Cour administrative avait demandé le 10 Octobre dernier, au ministère turc de l'Intérieur, de payer un dédommagement moral de 100.000 Livres turques (45.000€) aux frères de Hrant Dink, Khosrov et Yervant. Au motif que le ministère avait manqué à ses obligations de maintient de la sécurité et à prévenir l'assassinat de Hrant Dink, en dépit des multiples informations sur le danger qui le menaçait.
Le ministère turc de l'Intérieur refuse de payer la compensation morale à la famille de Hrant Dink et prévoit de faire appel de la décision d'indemnisation. Et ce au motif que payer 100.000 Livres d'indemnité à famille Dink peut conduire à "un enrichissement injustifié".
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Extrait de la Radio Publique d'Arménie et de PanArmenian.net