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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
Ces jours-ci, la
Turquie sent la moutarde lui monter au nez, plus précisément depuis le voyage
du président Sarkissian en France et celui de Sarkozy en Arménie. Il est vrai
que les propos de ce dernier sont plutôt sévères à son égard, l’incitant ‘gentiment’
à se pencher sur son passé et surtout à reconnaître le génocide arménien. Si l’on
ajoute à cela :
- le vote probable de
la pénalisation de la négation du génocide par la France ;
- L’insistance des
coprésidents du groupe de Minsk à ce que l’Azerbaïdjan accepte, malgré sa forte
réticence, les principes de base pour la
résolution du conflit du Karabakh ;
- Le désaveu, de la
condition préalable posée par la Turquie, par tous les signataires et observateurs
des protocoles de normalisation des relations arméno-turques ;
- le rapport pas très
favorable de l’UE sur ses avancées en vue de son adhésion ;
- et enfin le tout
récent vote du Congrès américain lui demandant de restituer les biens religieux
dérobés aux chrétiens,
On peut comprendre ses
états d’âmes. Seulement Ankara n’a toujours admis que c’est lui-même qui
fournit le bâton pour se faire battre. Ou plus exactement les dirigeants turcs
savent très bien ce qu’ils font et surtout ce qu’il ne faut pas faire.
La solidarité entre
frères n’est pas un vain mot, que l’on soit Ottoman ou Azéri, c’est la grande
famille turcophone. D’autant que les intérêts d’Ankara recoupent ceux de Bakou,
énergétiquement parlant, sans compter tous les accords commerciaux et
militaires. Alors pourquoi tendre la main à une petite Arménie qui ne lui
apportera rien, ou du moins pas grand-chose sur un plan commercial, et rien du
tout sur le plan militaro-stratégique. Pire reconnaître et assumer son passé ne
fera qu’ouvrir la voie aux revendications et aux réparations.
Certes, ce n’est pas
demain qu’Erdogan ira s’agenouiller devant le mémorial du génocide arménien,
mais ‘2015’ approche et risque de produire des effets très indésirables sur sa
politique.
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*
A Marseille, le président Sarkissian avait déclaré :
"la Turquie, qui se considère comme un pays européen, aura un jour des
dirigeants, qui s’inclineront devant le mémorial de Dzidzernagapert." En
réponse le ministre turc des Affaires européennes, Egemen Bagis, avait déclaré
que personne n'avait "le cran de faire courber la Turquie."
"Une telle réaction, surtout venant du négociateur en
chef d'adhésion à l'UE, est une preuve de la réalité douloureuse que la Turquie
d'aujourd'hui n'a pas de dirigeants dignes d'un pays européen et que certains
responsables turcs demeurent les héritiers de la mentalité misanthrope de
l'Empire ottoman, plutôt que d’être les porteurs du système de valeurs européen
moderne," a déclaré le Vice-ministre des Affaires étrangères arménien,
Chavarche Kotcharian, commentant la réaction de M. Bagis.
(…)
Parlant des propos du ministre Bagis, le politologue et
Vice-doyen du Département d’études orientales de l'Université d'Etat de Erevan,
Ruben Melkonian, a ajouté : "Son
message était composé de nombreux mots d'argot. Il parait que l'auteur de ces
paroles serait le ministre le plus européen de la Turquie. Ce que nous voyons
cependant, est que le sang des nomades analphabètes parle de lui-même, et même
le ministre le plus ‘européen’ est incapable de surmonter ce complexe."
Le Négociateur en chef turc s’est également vanté d'avoir
imposé un blocus sur le pays voisin. Il a poursuivi indiquant que les Arméniens
ne resteront pas forts en raison de la pauvreté et de la faim, ajoutant que la
population a chuté de 4.000.000 à 2.000.000 d’individus suite à une forte
émigration. Il a noté que même certains Arméniens travaillent en Turquie, ce qui
montre la sincérité des Turcs.
Ruben Melkonian a souligné que le langage de la rue utilisé
par Bagis dépasse les limites de l'éthique diplomatique, et qu’il est propre à
l'élite politique turque, mais que : "Dans le même temps, nous voyons
un certain nombre de fonctionnaires affirmer que la Turquie a la volonté d'établir
des relations diplomatiques avec l'Arménie."
"L'Arménie et la Turquie peuvent établir des relations
diplomatiques à l'avenir, mais elles ne deviendront jamais des amies",
a-t-il souligné.
Pour lui, les actions récentes de la Turquie sont dirigées contre
elle-même. Le politologue est persuadé que les autorités arméniennes vont
réagir à la déclaration de Bagis et que cela aura des conséquences négatives
pour la Turquie.
Les relations de la Turquie avec les autres États prouvent
que c'est un pays problématique, les liens avec la Syrie sont l'exemple le plus
frappant : "En une semaine les excellentes relations se sont
transformées en hostilité alors que la Turquie prétend au ‘zéro problème politique
avec les voisins’."
Les excuses du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan pour
les pogroms de Dersim de 1937-1938, ayant entrainé la mort de 13 806 personnes,
n'ont pas donné les résultats escomptés. En s'excusant, le Parti Justice et
Développement (AKP) vise à donner un nouveau coup à l'idéologie kémaliste,
plutôt que d'affronter son passé."
C'était la première fois que l'Etat turc faisait des excuses
publiques pour reconnaître les événements de son passé. Selon différentes
sources, des milliers de survivants du génocide 1915 ont été tués lors de ces pogroms.
Ankara poursuit la dé-idéalisation de Kemal Ataturk et ce
jusqu'à ce qu'il ne soit plus considéré comme le symbole de la Turquie.
En fait, la machine politique turc est irritée suite à la
méfiance évidente des responsables occidentaux dans leurs déclarations sur la
réconciliation arméno-turque. En particulier, les mots d’Hillary Clinton, de
Nicolas Sarkozy ou de Joe Biden ont fait perdre à la Turquie le contrôle de
soi. Selon le politologue, les déclarations de Bagis s’adressent avant tout aux
dirigeants susmentionnés.
Une déclaration analogue vient d’être faite par le Président
de la Grande Assemblée nationale turque, Cemil Cicek, qui a lié la
normalisation des relations arméno-turques au règlement du conflit du Karabakh.
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* Brèves Etats-Unis *
Deux facettes contradictoires ?
1 - La Chambre
des Représentants américaine a adopté la résolution sur les libertés religieuses,
H.Res.306, appelant la Turquie à restituer les biens des églises chrétiennes,
volés lors du génocide, et de mettre fin à sa répression des membres survivants
de la vaste civilisation chrétienne qui représentait jadis une majorité dans le
territoire de la République actuelle de la Turquie, rapporte le Comité National
Arménien d'Amérique (ANCA).
La résolution a été adoptée à main levée.
"Le vote d'aujourd'hui – malgré des oppositions de
marque - représente une victoire puissante pour la liberté religieuse, et
reflète également le consensus croissant tant américain qu’international, que
la Turquie doit - à commencer par la restitution de milliers de propriétés et
de lieux saints volés aux églises chrétiennes - accepter ses responsabilités
pour toutes les implications morales et matérielles d'une résolution honnête et
juste du génocide arménien," a déclaré le président de l’ANCA, Ken
Hachikian.
(…)
2 - La majorité
des lecteurs de Time magazine, dans un sondage en ligne, ont sélectionné le
Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, en tant que Personne de l'année
2011.
Après des années à frapper sans succès à la porte de l'UE,
le Premier ministre turc et leader de l’AKP, connu pour son libéralisme
économique ainsi que pour sa politique modérément islamique, a résolument tourné
son regard vers les anciennes possessions de l’Est et du sud de l'empire
ottoman. Il a été applaudi, parmi d'autres, dans le monde arabe et musulman
pour sa position ferme envers Israël, et plus tard par le gel de l’alliance
israélo-turque. Puis, en association avec le président brésilien Lula da Silva,
il a rencontré le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et a lancé la
Déclaration de Téhéran du 17 mai. Il a offert un échange de combustible dans le
cadre d'une solution alternative aux sanctions pro-américaines contre l'Iran
alors que le monde essayait de freiner le programme nucléaire de Téhéran - le
mouvement a été reçu comme la marque d'un nouvel ordre mondial naissant.
Manque de chance, la Déclaration de Téhéran a été snobée par
les Etats-Unis et ses alliés, sapant ainsi la tentative diplomatique d’Erdogan.
En Février, M. Erdogan s'est retrouvé au milieu d'une crise politique, où 31
officiers militaires, en activités ou retraités, ont été arrêtés sur des
accusations de complot visant à fomenter un coup d'Etat. Cette lutte a accentué
le fossé entre l’AKP et les laïques nationalistes soutenant l'Armée, garante du
Kémalisme, qui a été la première force de la vie politique turque depuis les
origines.
* Brève Arménie *
Selon le Vice-président de l’Assemblée nationale arménienne,
Edouard Charmazanov, la Turquie n'a pas le droit de condamner d'autres pays
pour l'occupation des terres, alors qu’elle-même occupe le territoire d'un pays
européen.
"Les politiciens turcs poussent le cynisme à parler de
Khodjalou alors qu’ils poursuivent la négation du génocide arménien. La
déclaration de Cemil Cicek est la manifestation de la propagande
anti-arménienne de l'Azerbaïdjan et la manie turque à déformer les faits,"
a-t-il souligné
* Brève Turquie *
Les médias turcs craignent que le Sénat français vote la
pénalisant de la négation du génocide arménien. Ils se basent pour cela sur la visite
à Erevan du président Nicolas Sarkozy, et qui a exprimé de façon non équivoque,
son intention pour soutenir le projet.
Pour certains, cette position de Nicolas Sarkozy est une
tentative de contrer son adversaire aux présidentielles, François Hollande, qui
s’est engagé à faire adopter le projet de loi en cas de victoire. Aussi, les
deux sont en lice pour recueillir les votes de la communauté arménienne.
En attendant, l'Assemblée nationale doit se prononcer sur le
projet de loi le 22 Décembre prochain.
* Brève diplomatique ?
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L’Ambassadeur d’Arménie en Suisse, Charles Aznavour, a
critiqué les autorités arméniennes : "Mon pays fait face à un
génocide interne. Le gouvernement ne laisse aucune chance aux jeunes, il les étouffe
jusqu'à ce qu'ils quittent le pays. Le problème a dépassé le stade politique, il
s’est transformé en un problème universel à traiter immédiatement."
Selon Charles Aznavour, les mafieux seraient la principale
raison cette émigration. "Le gouvernement ne bougera pas le petit doigt pour
aider les gens du commun," a-t-il ajouté.
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