***
Traduction Gérard
Merdjanian – commentaires
Les années passent
mais les tabous restent. Certes l’on peut discuter en Turquie du génocide
arménien, mais il faut suivre les règles imposées : - le mot génocide
arménien doit est précédé de la locution ‘soi-disant’, ce que le président Gül
a fait à Çanakkale ; - Massacrer des Arméniens en masse ne signifie pas perpétrer
un génocide ; - Le nombre d’Arméniens massacrés doit correspondre à un
nombre égal de Turcs tués, tout au plus quelques centaines de milliers, mais
certainement pas 1,5 million ; - la qualification des événements ne peut
se faire qu’après l’examen des archives par une Commission ad hoc d’historiens
plurinationaux. Sinon gare à l’article 301 qui prévoit amende et emprisonnement
au contrevenant. Le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk, a été poursuivi
pour avoir avancé le chiffre de 1 million de victimes.
Et même si tous ces
conditions étaient remplies, comme l’a dit si bien dit le Premier ministre
Erdogan, il ne sied pas à la fierté des Turcs d’être accusés de
génocidaires ! D’ailleurs il suffit de lire l’histoire de l’empire ottoman
pour se rendre compte que le peuple turc est un peuple pacifique, et que s’ils
sont descendus des steppes d’Asie centrale il y a 1000 ans, c’était pout faire
du tourisme.
Aussi, croire qu’un
politicien turc soit prêt à embrasser les revendications arméniennes, est un
leurre. Le cas du député Ismet Uçma, décrit ci-après, est symptomatique de
l’état d’esprit de la classe politique turque. Même dit avec des propos
modérés, le fond reste inchangé : La Turquie ne reconnaît pas le génocide
et se repose sur les résultats d’une Commission d’historiens à créer. Il
reprend le même argumentaire que les historiens officiels turcs, se payant
le luxe de créer un néologisme plus que douteux. Monsieur Uçma confond
culpabilité et responsabilité. Les Jeunes-Turcs étaient coupables et ils ont
été condamnés par contumace pour crime contre l’humanité par un tribunal turc
en 1919 ; l’Etat turc, quel que soit le régime, empire ou république, porte
toujours la responsabilité des actes commis par ses prédécesseurs.
Les dirigeants turcs le
savent très bien, et reconnaître le génocide implique pour eux octroyer des
réparations : matérielles, financières voire territoriales.
C’est le moins qu’ils
puissent faire pour avoir joui impunément des biens, des propriétés, des terres
confisquées aux Arméniens de 1915 jusqu’en 1923, par Mustapha Kemal Atatürk(1).
***
* Les Officiels turcs et le 24 Avril
*
* Le problème
arménien : le désespoir et l'espoir
Comme une personne
qui vit en Turquie tantôt dedans tantôt dehors, parfois je deviens très
optimiste, et parfois je me trouve dans un état d'esprit pessimiste. Et ces
deux humeurs peuvent alterner d’un jour à l’autre.
L'autre jour, j'ai
assisté à un débat sur l'une des chaînes de télévision des plus populaires en
Turquie. Le thème était «le problème arménien». Un intellectuel arménien, Garo Paylan, et moi étions d’un côté,
de l'autre était le bloc ‘front’ nationaliste, composé d'un ancien politicien
du Parti républicain du peuple (CHP) et de deux universitaires, dont l'un était
de la Société d'Histoire Turque (TTK).
Le débat est devenu
très étouffant. Tout d'un coup de nombreux "arguments" officiels se
sont déversés sur nous. C'était vraiment gênant de voir que ces personnes n’ont
jamais changé leurs arguments. Ils n'ont même pas essayé d'être plus
intelligents ou plus sophistiqués. Mais le plus beau est venu à la fin. Le
débat a été très animé, parfois très intense et notre "historien officiel"
prononça quelques mots très choquant. Il a mis en garde Garo en disant que
"il peut finir en Californie" comme ses ancêtres. Ce monsieur est officiellement
historien de l’Institut d’histoire du pays, et responsable du problème arménien.
La Turquie peut-elle
avancer d'un pouce avec ce genre de «historien»? J'ai quitté la chaîne de
télévision avec une grosse migraine et très gravement préoccupé par l'avenir de
ce pays.
Quand, j'ai lu une
interview de l'un des fondateurs istanbuliotes du parti au pouvoir (AKP), Ismet Uçma, je suis devenu très optimiste
de nouveau. J'ai relevé certaines de ses remarques :
"En 1915, une
«chose anormale» s’est passée qui n'avait pas eu lieu auparavant dans les 1000
ans d'histoire et les codes de civilisation de cette nation. Les historiens
doivent mettre en évidence tous les documents connexes. Un référentiel unique
de ces documents doit être créé et les politiciens doivent évaluer les
résultats qui en découlent. Ensuite, la communauté internationale devra prendre
une décision pour qualifier la situation. C'est ma proposition personnelle. Je
crois que nos citoyens arméniens, nos
amis arméniens n'ont pas subi un «génocide» mais un «génoxile». Si le
génocide avait été le vrai but, alors les méthodes de destruction utilisées par
les Espagnols et les Portugais contre les indigènes d'Afrique du Sud ou par les
Américains contre les Amérindiens ou par les Allemands contre les Juifs
auraient été utilisés. C'est le Comité Union et Progrès qui a été responsable
de la douleur et des souffrances des Turcs, des Arméniens et de tous les
citoyens de cette époque. Ce n'est pas acceptable du tout."
"Si vous
essayez de créer un État-nation,
vous dresser les gens les uns contre les autres. Nous [La République turque], ne sommes pas responsables de ces
incidents, ce sont les Jeunes-Turcs. Pourtant, nous devrions être en mesure
de dire : 'Nous nous excusons pour ces incidents de notre passé." Personnellement,
je propose cette excuse de ‘genoxile' [un néologisme qui signifie «l'envoi
d'une ethnie en exil»]. Si vous confondez la lutte contre le Parti des
Travailleurs Kurdes (PKK) avec la «lutte contre un peuple», une situation très
tragique va émerger. Il ne peut pas être expliqué. Les massacres effectués par des bandes arméniennes en coopération avec
certains pays étrangers est une chose et la délocalisation de nos citoyens
arméniens, c'est autre chose. Les Jeunes-Turcs ont confondu les gangs arméniens
avec d’innocents citoyens arméniens. Et ils ont fait payer le prix à tous les
Arméniens. Dans l'histoire, il y a d'autres exemples de déplacements forcés.
Les gens déplacés doivent l’être avec une sécurité extrême. Est-ce ce qui s'est
passé avec le déplacement des Arméniens ? Non. .. Nul ne devrait s'installer dans
la maison ou dans le pays de l’autre. Je ne ferais pas cela. Aujourd'hui, les
propriétés appartenant à des fondations créées par certaines minorités
religieuses leurs sont retournées. Cela ne devrait pas passer inaperçu."
"Si la nation
arménienne et la nation turque travaillent ensemble, ils peuvent résoudre ce
problème. Dieu, le Coran et les prophètes permettront d'être interrogés et
examinés. Dieu a dit, "S'il y a de nombreux dieux, ce sera le chaos."
Mais nous ne pouvons pas discuter de certains tabous. Quand vous parlez d'eux,
ils soulèvent l'enfer. Nous devons surmonter cet obstacle. Tout le monde doit
croire et vivre comme il l’entend. Personne ne doit imposer certains modes de
vie ou croyances aux autres. C'est le principal point ... Je ne peux pas tenir
la nation arménienne distincte de la nation turque. Leurs douleurs sont les
nôtres. Aucun être humain n’est plus «humain» que les autres. Personne n'est plus
privilégié que l’autre. Nous devons être ouverts à la critique. Sur les commémorations
actuelles, les gens ont pris position et agi avec des attitudes racistes. Cela
doit être ouvert à la discussion ... La Turquie doit ouvrir sa frontière avec
l'Arménie parallèlement aux discussions du statut des territoires
azerbaïdjanais occupés par l'Arménie. Ces gens qui ont vécu avec nous, partagé
les mêmes sentiments et utilisé la même langue littéraire, doivent être soulagés
de leurs douleurs. Ces choses-là ne doivent pas être sacrifiées à des tensions politiques."
Aussi que je sois
d'accord ou non avec chaque mot, les propos du député Uçma me donnent de l’espoir.
Je souhaite que plus de gens comme lui viennent et parlent ouvertement. La clé
de toute solution pour le problème arménien se trouve dans les mains de ces
non-nationalistes Turcs ou Arméniens. Que Dieu les bénisse!
Orhan Kemal Cengiz – Zaman
* Abdullah Gül *
Le président Abdullah
Gül, s'exprimant à l'occasion du 97e anniversaire de la bataille de
Çanakkale (détroit des Dardanelles), a déclaré :
"La Turquie
organise tous les ans une cérémonie pour commémorer les soldats français morts
à Çanakkale, mais la France ne présente pas la même bonne approche envers la
Turquie. Après la création de la République [turque], nous avons évité de
rouvrir de vieilles blessures afin que les générations futures n’héritent pas
ces douleurs. Malheureusement, la diaspora arménienne a commencé à partir des
années 60 à instrumentaliser cet événement tragique pour la préservation de son
identité et pour renforcer le sentiment de solidarité entre eux.
Certains pays ont
ratifié injustement des lois pénalisant le soi-disant génocide arménien. Les
politiciens qui ont voté ces lois n'ont pas connaissance des conditions
politiques de l'époque, ils sont à la poursuite d’avantages politiques."
Réitérant l'appel de la Turquie pour la création d'une
Commission non partisane composée d'éminents historiens turcs et étrangers pour
enquêter sur les événements de 1915, Gül a indiqué que ni l'Arménie ni la
France n’ont donné une réponse positive à cet appel.
"
Aujourd’hui, nous observons fréquemment
et avec tristesse que les politiciens français exploitent la mort des Arméniens
durant la Première Guerre pour obtenir le soutien de la communauté arménienne
de France et ce faisant encouragent la turcophobie en France," a-t-il ajouté.
* L’après 24 Avril en Arménie*
* Edgar Hovannisian
Les forces armées azerbaïdjanaises ont violé à plusieurs
reprises le cessez-le-feu la semaine
dernière, faisant trois morts et deux blessés dans les rangs arméniens, sans
compter le bombardement d’une école maternelle. Suite à quoi, les coprésidents
du Groupe de Minsk ont publié une déclaration appelant les parties à respecter
leurs engagements et à éviter d’utiliser la force.
"Il est temps
pour les coprésidents d'appeler les choses par leurs noms, sinon de telles
déclarations vont créer un terreau fertile pour les provocations par
l'Azerbaïdjan. Si l’on veut connaître la vérité en lisant la déclaration des
coprésidents, on voit bien que rien n’est précisé : Qui a violé le
cessez-le-feu ou qui est responsable des pertes de vies humaines ?" a
déclaré l’expert Edgar Hovannisian.
Et d’ajouter que : "discuter
de la stabilité devient impossible sauf à désigner clairement les fauteurs de
trouble."
* Ruben Safrastian
Des centaines de commémorations du génocide arménien vont se
dérouler en 2015. Le directeur de l’Institut des Etudes Orientales, Ruben Safrastian, a indiqué les
réalisations actuelles et les attentes en vue de cette date.
Q - Monsieur
Safrastian, quelles sont les réalisations dans le processus de reconnaissance
internationale du génocide arménien?
R - Dans les dernières années, la
reconnaissance et la condamnation du génocide ont beaucoup avancé et à cet
égard le processus de pénalisation de la négation du génocide arménien lancé en
France est d'une importance cruciale. Bien que la première tentative ait
échoué, il est fort probable que le processus arrive à son terme, et ce quel
que soit le nouveau président de la France. Une étape fondamentale sera lancée
et je crois que certains Etats de l'Union européenne se joindront au processus.
Q - Y a-t-il des
changements dans la position officielle de la Turquie?
R – La position officielle de la Turquie n'a
pas changé ; sa politique de négation et de falsification reste la même. Et je
pense que cela ne changera pas dans un avenir proche. Je n’ai remarqué aucun
changement chez les dirigeants ou dans les partis politiques turcs, quels
qu’ils soient.
Q - Avez-vous
remarqué des changements dans la société civile?
R –Oui, mais que dans certains groupes sociaux
turcs, en particulier parmi les défenseurs des droits de l’homme, les
scientifiques, les journalistes et les étudiants. Une partie de la société a
dévoilé la vérité sur le génocide et les atrocités, et a condamné les menées
sous le régime ottoman. Mais quasiment personne n’utilise le mot génocide, ce
qui en fait est tout à fait explicable.
J’espère que la
Commission devant s’occuper de 2015, comprendra outre des politiques, des
avocats, des historiens et des politologues. Les deux, Les experts nationaux et
diasporiques doivent être invités à former la Commission, qui étudiera les
moyens de traiter la question sur le plan juridique.
* Brève Iran *
A l'invitation de son homologue iranien, Ali Akbar Salehi, le ministre des
Affaires étrangères arménien, Edouard
Nalbandian, est arrivé à Téhéran dimanche pour une visite officielle, il a
été accueilli par président iranien Mahmoud Ahmadinejad.
M. Nalbandian a transmis le message du président arménien
Serge Sarkissian. En retour, le président Ahmadinejad a adressé ses salutations
cordiales et ses vœux au Président Serge Sarkissian et au peuple arménien. Il a indiqué que l'Iran s’efforcera de développer les relations avec l'Arménie dans différents domaines. Un accroissement du volume des échanges commerciaux est par conséquent très attendu entre Erevan et Téhéran.
Les discussions avec son homologue ont porté sur la coopération bilatérale et
sur la mise en œuvre de projets économiques conjoints : la construction
d'une ligne électrique à haute tension entre l'Iran et l'Arménie, la
construction d’une centrale hydraulique sur le fleuve Araxe, un nouvel oléoduc,
un complexe de stockage pétrolier, ainsi qu’un chemin de fer entre les deux
pays. Les interlocuteurs ont également abordé l'activité de la Commission intergouvernementale arméno-iranienne, qui tiendra sa prochaine séance à Erevan cet été.
"L'Arménie
est un pays qui mérite d’avoir un rôle vital dans la région. L’Iran soutient le
règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh. Des efforts doivent être faits
pour développer le volume du commerce bilatéral. La mise en œuvre de programmes
conjoints, tels que la construction d’un chemin de fer, d’un l'oléoduc et d’une
la ligne HT contribueront à l'accomplissement d'autres missions
conjointes,"
"La politique de la République islamique est de renforcer la convergence entre les pays de la région pour résoudre les différences et les différends par la négociation et la compréhension mutuelle. La mise en œuvre de projets économiques conjoints est une étape importante vers l'amélioration des liens économiques bilatéraux, il faut accroître les relations entre les secteurs privés de l'Iran et de l'Arménie," a déclaré le ministre iranien.
"La politique de la République islamique est de renforcer la convergence entre les pays de la région pour résoudre les différences et les différends par la négociation et la compréhension mutuelle. La mise en œuvre de projets économiques conjoints est une étape importante vers l'amélioration des liens économiques bilatéraux, il faut accroître les relations entre les secteurs privés de l'Iran et de l'Arménie," a déclaré le ministre iranien.
"L'Iran
déploie des efforts pour développer les relations avec l'Arménie dans
différents domaines," a déclaré pour sa part le président Mahmoud Ahmadinejad, lors de sa réunion
avec Edouard Nalbandian.
M. Salehi a présenté les derniers développements dans les négociations sur les programmes nucléaires de l'Iran. Le ministre Nalbandian a noté des progrès enregistrés dans ce domaine et a exprimé l'espoir que de nouveaux progrès seront réalisés au cours de la prochaine réunion à Bagdad.
Le ministre arménien des Affaires étrangères a informé son homologue sur le processus de règlement du conflit du Karabakh, soulignant l'importance de la position équilibrée de l'Iran sur la question.
Le chef de la diplomatie arménienne a eu des entretiens avec le président du Parlement iranien, Ali Larijani, et le Secrétaire du Conseil suprême de sécurité de l'Iran, négociateur en chef des programmes nucléaires, Saïd Jalili.
Les échanges commerciaux entre les deux pays a atteint 270 millions de dollars en 2010, et se situe actuellement aux alentours de 300 millions.
"Les parlements des deux pays ont un rôle important dans la consolidation des relations bilatérales. L'Arménie attache une grande importance à l'expansion des relations amicales avec la République islamique dans tous les domaines," a ajouté le ministre arménien.
**
(1) Atatürk avait mis en
place tout un ensemble de mesures et de lois concernant les Arméniens,
lesquelles sont toujours en vigueur. Celles-ci interdisaient aux réfugiés
arméniens originaires de Turquie de retourner dans leur village ou leur ville
d’origine.
-
La loi du 20 avril 1922 prévoit la confiscation en Cilicie de tous
les biens appartenant aux personnes qui avaient ‘quitté’ la région ;
-
La loi du 25 avril 1923 étend la confiscation à tous les Arméniens,
quels que soient les motifs ou la date de leur départ du pays ;
-
La loi de septembre 1923, article 2, interdit le retour des
Arméniens en Cilicie et dans les provinces de l’Est (Arménie Occidentale) ;
-
La loi du 23 mai 1927 exclue de la nationalité turque tous ceux
qui, lors de la guerre de l’indépendance, n’y ont pas pris part ou qui sont
restés à l’étranger entre le 24 juillet 1923 (Traité de Lausanne) et la date de
la promulgation de cette loi.